XV
RUSE POUR RUSE

Matthew Scarlett, second de L’Indomptable, se baissa pour pénétrer au carré et tendit sa coiffure à un garçon. En dépit de la brise assez fraîche de secteur nord qui avait gonflé les voiles pendant tout le quart de l’après-midi, l’air dans les entreponts était tiède et humide. Premier avertissement de l’Atlantique sur ce qui les attendait.

Ils devaient retrouver avant le crépuscule deux des frégates de l’escadre, La Fringante et le Reaper, et prendraient ensuite les dispositions pour la nuit.

Scarlett alla s’asseoir. Il se disait, plein de rage : Et pour ce que ça va nous faire. Le seul navire qu’ils aient aperçu en cette belle journée de septembre était leur goélette, le Reynard, qui s’était arrêtée brièvement pour échanger des dépêches avant de remettre en route vers le rendez-vous suivant.

Le garçon du carré posa un verre de vin rouge devant lui et attendit ses ordres.

Scarlett l’entendit à peine et explosa.

— Du porc salé, encore ? Mais c’est moi qui vais bientôt ressembler à un cochon !

Il se retourna, comme s’il voyait le commandant en train de discuter avec l’amiral de ce que disaient les dernières dépêches. Il avala un peu de son vin tiédasse sans même faire attention au goût. Et Avery, l’aide de camp, était là également. Naturellement.

Ne pourrait-il pas avoir quelques mots en privé avec le commandant ? Après ce qu’il lui avait dit lorsqu’il avait pris son commandement à Plymouth, il serait peut-être disposé à l’écouter ?

Les deux officiers fusiliers somnolaient dans leurs fauteuils et Jeremy Laroche, le second lieutenant, installé au bout de la table, battait et mélangeait distraitement un paquet de cartes.

Scarlett fit semblant de ne pas le voir. Combien de temps cela allait-il encore durer ? Les Yankees n’allaient peut-être jamais sortir en force ; même la perte de l’Anémone, ce n’était qu’un coup de malchance. S’il avait fait nuit, rien ne serait arrivé.

Laroche l’appela, avec la voix traînante qu’il affectait :

— Je me dis, Matthew, si nous arrivions à réveiller les deux cabillots, vous ne feriez pas le quatrième ? – il battit ses cartes et ajouta : On pourrait se refaire, non ?

— Pas maintenant.

— Mais on va rappeler tout le monde sur le pont avant que vous ayez le temps de vous en rendre compte. Vous savez bien comment ça se passe.

— J’ai dit : pas maintenant. Vous êtes sourd ou quoi ?

Il ne vit pas la rage et la rancœur de l’officier ; tout ce à quoi il pouvait penser, c’était la lettre qu’avait déposée la goélette courrier. La seule vue de l’écriture filiforme de sa mère suffisait à lui donner des crampes à l’estomac et à le rendre malade.

Tout aurait dû être si différent. Aurait pu. L’Indomptable était à Plymouth pour y subir des modifications et se faire refaire le gréement, paré à remplir un rôle qu’il n’avait pu tenir pendant la campagne de Maurice. Il était le second, il pouvait espérer une promotion, un commandement selon toute probabilité, une situation provisoire en attendant d’accéder au grade de capitaine de vaisseau. Commander ce puissant vaisseau, voilà qui lui aurait permis de se mesurer à ces nouvelles frégates américaines comme l’Unité et les autres. La solde associée à ce commandement, sans compter les parts de prise quand il en ferait lui-même ou quand il y en aurait à partager. L’occasion rêvée d’effacer les dettes sans cesse croissantes qui s’amoncelaient au-dessus de sa tête, tel un spectre.

Sa mère était désespérée. Ils l’avaient menacée d’en appeler si nécessaire aux Lords de l’Amirauté. Mais les actes de propriété de la maison que son défunt mari lui avait laissée pouvaient prouver qu’elle essayait honnêtement de rembourser.

La seule mention des cartes par ce Laroche sans imagination avait manqué le faire vomir.

Il savait que son comportement pouvait paraître étrange, mais il avait de plus en plus de mal à contenir ses bouffées de rage ou à éviter de traiter rudement certains des officiers mariniers. Pendant son quart, la nuit dans sa couchette, lorsqu’il arpentait la dunette, qu’il pleuve ou qu’il vente, il était rongé par les soucis et le désespoir.

L’Indomptable n’allait plus naviguer longtemps indépendamment, comme lui et les autres l’avaient espéré.

Lorsque la marque de Sir Richard était montée en tête du grand-mât, il avait vu ses espoirs vaciller. On savait bien dans la Flotte que Bolitho avait souvent donné des commandements à ses aides de camp à la fin de leurs fonctions près de lui. Pour quelques-uns, la chose était amplement méritée ; pour d’autres, allez savoir ? Scarlett était l’un des lieutenants de vaisseau les plus anciens de l’escadre, mis à part quelques vieux officiers sortis du rang et assimilés.

C’était trop injuste. Mais il ne parvenait pas à se calmer. Il ne serait jamais en paix.

Un autre garçon trébucha près de la table.

— Vous d’mand’pardon, m’sieur.

Scarlett se retourna brusquement.

— Quoi ?

— J’ai entendu la vigie, monsieur.

— Bon, mais je l’ai entendue moi aussi, crédieu !

Il se leva pour sortir et ramassa son bicorne au passage. En réalité, il n’avait rien entendu du tout.

Le capitaine fusilier du Cann ouvrit un œil et s’adressa à Laroche.

— Ça sent le roussi, pas vrai ?

Laroche faisait toujours la tête.

— Je déteste les mauvais perdants.

Une fois sur le pont, Scarlett dut adapter sa vue à la lumière aveuglante réfléchie par cette houle qui ondulait sans fin sur l’océan vide. Du verre en fusion. Mais ce vide n’était qu’une illusion. Leur dernière position estimée les mettait à seulement vingt-cinq milles dans le sud-est de Sandy Hook et de New York.

Le lieutenant de vaisseau Protherœ, officier de quart, le regardait avec méfiance.

— Les vigies annoncent une petite voile dans le nordet, monsieur.

— Qui est là-haut ?

— Crâne, monsieur.

Scarlett leva les yeux, tentant de distinguer les huniers et les cacatois qui battaient dans le fouillis des enfléchures et du gréement. Le ciel était si brillant qu’il voyait à peine la vigie, mais il lui suffisait de connaître son nom.

Un bon marin, digne de confiance, pas le genre à s’imaginer avoir vu quelque chose. Il demanda sèchement :

— Quelle sorte de navire ?

— J’ai envoyé quelqu’un là-haut avec une lunette, monsieur.

— Ce n’est pas ce que je vous ai demandé.

Protherœ déglutit avec peine. Il s’était toujours très bien entendu avec le second. Ou du moins le croyait-il. Il finit par répondre :

— Très faible tonnage, monsieur. Une goélette à hunier, mais le gréement n’est pas de chez nous, Crâne pense que c’est un portugais.

— Vraiment ?

Il s’approcha de la lisse pour observer les hommes de quart sur le pont.

— Dès qu’elle nous aura vus, elle va détaler comme un lapin.

Il aperçut Isaac York, le maître pilote, des rouleaux de cartes sous le bras. Ses cheveux grisonnants volaient au vent. Il s’arrêta et s’abrita les yeux pour examiner l’horizon, à la recherche de ce navire qui n’était pas encore visible.

York poursuivit son chemin en direction de la dunette et dit au second :

— Je vais prévenir le commandant, Matthew.

Scarlett fit volte-face, les yeux brillants de colère.

— Ne commencez pas…

Mais York insistait.

— C’est moi, Matthew. Vous vous souvenez ?

— Désolé… – il mit la main sur sa vareuse : Je suis absolument désolé !

— Vous avez envie d’en causer ?

Il hocha la tête, les yeux dans le vague.

— Je sais. Je vis un enfer !

Puis il ordonna à Protherœ :

— Grimpez là-haut, compris ? Dites-moi ce que vous en pensez – puis à York : Plus tard, peut-être…

Mais York avait déjà disparu en bas.

York était un homme de haute taille et il dut se courber pour prendre la coursive jusqu’à l’endroit où un fusilier était de faction, devant les appartements de l’amiral.

Il se demandait ce qui pouvait bien arriver à Scarlett. Un bon second, on parlait de lui pour une promotion. C’était avant.

Le factionnaire laissa tomber la crosse de son mousquet sur le pont en aboyant :

— Maître pilote, amiral !

Ozzard ouvrit la porte et jeta un coup d’œil dehors. York se dit qu’il avait tout l’air d’une ménagère examinant, pleine de méfiance, un colporteur.

Il fallut bien une minute à York pour accommoder son regard à la pénombre de la grand-chambre, puis pour distinguer la silhouette charpentée du secrétaire de l’amiral qui, ses petites besicles rondes remontées sur le front, attendait les ordres. Avery, l’aide de camp, se tenait près du bureau, suivant sans peine les mouvements du bâtiment, quelques papiers à la main. Et leur commandant près d’un sabord, fort agité, dont le soleil éclairait les blessures hideuses quand le vaisseau gîtait dans un sens avant de les dissimuler dans l’ombre le coup d’après. York se souvenait de ses aspirants, horrifiés lorsque Tyacke était monté à bord pour la première fois. Etrangement, tous avaient changé. Ils manifestaient encore une certaine crainte, mais largement tempérée de respect, et peut-être d’admiration, pour son courage.

Et, naturellement, il y avait Sir Richard Bolitho. La chemise défaite, les jambes étendues, assis à contre-jour devant le vaste panorama qui s’étendait sur leur arrière.

York sourit. Les aspirants n’étaient pas les seuls à craindre leur amiral et leur commandant.

— Asseyez-vous, monsieur York. Je vais vous indiquer en deux mots ce que contient la dépêche apportée de Halifax par le Reynard – Bolitho eut un sourire forcé : Nous n’avons guère de nouvelles de la guerre, j’en ai peur, même si le duc de Wellington continue d’avancer et de s’accrocher aux basques de Napoléon.

York était aussi astucieux qu’expérimenté. L’endroit respirait la tension. L’inquiétude. Il ne s’agissait pas là d’acteurs en train de jouer leur rôle, songea-t-il.

Bolitho essayait de chasser le désespoir qui l’avait envahi, ce sentiment d’impuissance. Il poursuivit :

— Un informateur inconnu nous a fait savoir que mon neveu est bien remis de sa blessure, mais qu’il va rester en captivité, isolé comme un bandit – il dut faire un effort pour calmer une soudaine bouffée de rage : Inutile d’espérer un échange, ni même qu’on le libère à cause de sa blessure… – il regarda le pilote droit dans les yeux : J’ai besoin de vos conseils, monsieur York.

Tyacke fit vivement :

— C’est un piège, amiral ! Ce serait le coup de grâce !

York se taisait. La situation devait être grave, pour que le commandant s’adresse de cette façon à son amiral.

Bolitho ne montrait aucun signe d’irritation.

— La baie de la Delaware, c’est là qu’il est emprisonné. Au lieu dit plage d’Avon.

Tous se tournèrent vers York qui déroulait l’une de ses cartes et l’étalait sur la table.

— Ah, c’est ici, sir Richard.

Le regard de Bolitho glissa vers la petite boîte laquée posée sur son bureau. Une lettre de Catherine. Il avait hâte de la lire, de partager ses espoirs et ses craintes par-delà les lieues d’océan qui les séparaient.

York acquiesça.

— Un choix judicieux, pardonnez-moi de vous le dire, sir Richard. Il n’y a pas assez de fond pour autre chose que de petits bâtiments. Et naturellement, de l’eau à en revendre dans toute la baie. Bon mouillage.

Bolitho observait York qui faisait travailler son cerveau tandis que les autres gardaient le silence. Ses pensées revinrent à nouveau au coffret. Chaque mot de chacune de ses lettres disait tant de choses. Allday avait reçu une lettre, lui aussi. Il devait attendre quelque part, paré à bondir sur l’aide de camp pour entendre ce que lui disait Unis par la voix d’Avery.

Bolitho était très touché du fait qu’Allday s’était forcé à en dire le moins possible sur sa fille, alors que cela devait le démanger.

C’est à cause de moi, et à cause de Kate. Il contempla ses mains. Et à cause d’Adam.

York releva la tête.

— Une compagnie de débarquement, sir Richard ? – puis, soudain plus dur : Ou une tentative de coup de main, si c’est cela que vous vous proposez de faire ?

Bolitho lui répondit calmement :

— Croyez-vous vraiment qu’ils s’attendent à ce que je risque des vaisseaux et des hommes, uniquement pour quelqu’un qui me tient à cœur ?

Il palpa le médaillon sous sa chemise détrempée, il guettait le son de sa voix. Mais non, rien.

Tyacke demanda brusquement :

— C’est quoi, cette agitation sur le pont, monsieur York ?

— Une petite voile dans le nordet, commandant. Mais le second a décidé que c’était sans importance.

Bolitho se tourna vers lui.

— Cet endroit, la plage d’Avon… vous connaissez ?

— J’en ai entendu parler, amiral. C’est là qu’on avait emprisonné des loyalistes. Maintenant, je crois que c’est un bagne.

Bolitho se représentait cette prison.

— Il en sortira brisé.

— C’est arrivé à beaucoup de gens de valeur, sir Richard, nota Tyacke.

— Je sais. Je n’en fais pas une affaire d’honneur et je ne cherche pas à me venger…

Tyacke fronça le sourcil en entendant le factionnaire :

— Le second, amiral !

— Dites-lui d’attendre ! – et à Bolitho : Il vaut mieux que j’aille le voir.

Puis il se radoucit. Sans ses cicatrices, il aurait été beau, songea Bolitho, tout attendri.

— Je ne voulais pas vous blesser, sir Richard. J’ai trop de respect pour vous, bien plus que je ne saurais le dire en public. Je sais ce que vous ressentez. Je suis votre capitaine de pavillon… – il haussa les épaules : C’est vous qui me l’avez dit, vous vous rappelez ?

York avança prudemment :

— Si vous avez besoin de moi, sir Richard ?

— Merci, monsieur York. Nous reprendrons cette conversation plus tard.

York ramassa ses cartes et sortit.

Bolitho retourna s’asseoir, le dos contre les fenêtres. La chaleur pénétrait à travers le verre épais, il épousait le tangage et le roulis de ces quatorze cents tonnes. Des hommes, des armes, et peut-être la volonté de vaincre. Que pouvait tout cela contre l’amour ?

Il s’adressa à son aide de camp dont les yeux sombres paraissaient plus clairs sous la lumière réfléchie par la mer.

— Eh bien, George ? Rien à dire ? Votre chef se fait rembarrer, et vous restez silencieux ?

— Je vois quelqu’un qui se sent impuissant parce qu’il se fait beaucoup de souci pour les autres. Pour les bâtiments et les hommes qui se fient à lui. Des gens qu’il connaît, des bons et des moins bons… et qui sont tous entre ses mains.

Bolitho ne répondit pas, et Avery ajouta :

— Un général dirait : « Faites donner le 87e. » Et si cela ne suffit pas, ou si le régiment se fait massacrer, il en enverra un second. Il ne voit pas de visages, il n’entend pas les cris pitoyables qui ne recevront jamais de réponse, il ne voit que des drapeaux et des épingles sur une carte.

Il y eut un long silence, Bolitho entendait la respiration d’Avery qui dominait tous les autres sons.

— Je sais.

Lorsqu’il releva la tête, Avery s’aperçut avec surprise qu’il avait les larmes aux yeux.

— Je n’avais pas le droit, amiral.

— S’il est quelqu’un qui a tous les droits, c’est vous.

Ils entendirent la voix de Tyacke qui s’énervait :

— Vous êtes relevé, vous ! Retournez dans votre poste jusqu’à ce que l’on vous ordonne d’en sortir !

On avait l’impression qu’il poursuivait encore ce malheureux factionnaire.

— Nous nous battons du même côté, enfin, j’espère !

Puis la voix de Scarlett, une voix rauque et pleine de colère :

— La Fringante est en vue, commandant !

— Qu’est-ce que vous avez encore ? Il est assez proche pour le rendez-vous. C’est tout ce que vous aviez à me dire ?

Avery demanda :

— Voulez-vous que je monte calmer tout ce beau monde, amiral ?

Mais Bolitho leva la main :

— Pas pour le moment.

Tyacke demanda d’un ton brusque :

— La vigie et ce qu’elle a aperçu dans le nordet, des nouvelles ?

— J’ai fait envoyer de la toile, commandant. Il nous perdra de vue au crépuscule, j’ai pensé…

Soudainement, Tyacke redevint très calme, sa colère oubliée comme un grain qui passe.

— Mettez en panne et dites à La Fringante de rallier l’amiral.

Lorsqu’il revint dans la grand-chambre, il était parfaitement impassible.

— Je vous prie de m’excuser pour mes propos un peu vifs, sir Richard. Cela fait longtemps que j’ai oublié les bonnes manières en vigueur sur les vaisseaux de ligne !

Allday arriva silencieusement, l’air interrogatif : il n’y avait plus de factionnaire devant la portière.

— Allez-vous monter, sir Richard ?

L’Indomptable roulait lourdement, les marins couraient aux bras et aux écoutes pour réduire la toile et faire venir le bâtiment dans le lit du vent. Sur le pont, des visages ébahis fouillaient la mer, toujours vide à l’exception de petits éclats de voiles qui semblaient encercler L’Indomptable comme des requins tandis qu’il continuait à virer.

Bolitho bascula contre un hauban dans un coup de roulis, il avait glissé sur le pont détrempé.

Il surprit le regard de Tyacke, puis Allday lui prit le bras.

Il emprunta sa lunette au lieutenant de vaisseau Protherœ. Très lentement, il l’approcha de son œil droit, osant à peine respirer, et la goélette peinte de couleurs vives sauta dans l’oculaire.

— Faites rassembler la garde, monsieur Scarlett !

Il se reprit, il avait peur que sa voix ne le trahisse.

— Un commandant va monter à bord et, en ce jour de septembre, nous allons l’accueillir avec tous les honneurs !

Allday, très inquiet, lui saisit le bras.

— Qu’y a-t-il, sir Richard ?

Bolitho se tourna vers l’autre bord de la dunette où Tyacke surveillait son bâtiment qui répondait aux voiles et au gouvernail. Les giclées d’embruns trempaient sa vareuse.

Tyacke avait tout deviné. Il savait.

Puis il tendit sa lunette à Allday et lui dit lentement :

— Vous voyez ça, mon vieux ? Aujourd’hui, il y a encore quelqu’un qui va monter à bord.

 

Philip Beauclerk, le chirurgien, essuya ses grosses mains osseuses sur une serviette humide et lâcha :

— Je ne sais pas qui a soigné le commandant Bolitho, mais c’est certainement un excellent médecin. Ennemi ou pas, j’aurais bien aimé pouvoir le féliciter.

Assis près de la couchette que l’on avait gréée dans ses appartements, Bolitho tenait la main d’Adam. Il avait peine à y croire et pourtant, d’une certaine manière, tout comme Tyacke, il en avait eu le pressentiment. Ils n’avaient eu qu’une seule et unique chance, et ils avaient su la saisir.

Adam ouvrit l’œil et le dévisagea lentement, peut-être pour se convaincre que n’était pas un autre rêve, un nouvel espoir qui s’envolait.

— Voyez-vous, mon oncle, vous ne vous débarrasserez pas si facilement de moi.

Il sembla comprendre tout d’un coup qu’on lui tenait fermement la main et murmura :

— C’est le fils d’Allday. Il a pris des risques terribles.

— Et vous aussi, Adam.

Il sourit, serra plus fort sa main : la douleur revenait.

— On m’aurait mis dans une cage, mon oncle. On l’aurait pendu, comme ce malheureux George Starr. Je n’oublierai jamais ce qu’il a fait.

— Il est encore très faible, sir Richard, coupa Beauclerk. Et ses derniers exploits ne sont pas pour hâter sa convalescence.

Adam secoua la tête.

— Mon oncle, pourquoi faut-il, lorsque l’on est souffrant, que ceux qui vous soignent aient toujours l’air de croire que vous êtes sourd et idiot ? Ils parlent de vous comme si vous étiez au seuil du paradis…

Bolitho effleura son épaule nue. Elle paraissait plus ferme, moins fiévreuse.

— Vous allez déjà mieux, Adam.

Il essayait de chasser de son esprit les dépêches que le Reynard avait apportées. Le convoi de troupes avait été doublé, il devait arriver à Halifax sous deux semaines. Il en avait parlé à Tyacke tandis que Beauclerk examinait Adam, et il avait lu quelques réticences dans ses yeux.

Les Américains avaient laissé filtrer quelques détails sur le lieu où Adam était tenu captif, pour encourager une opération d’évasion, pour diviser l’escadre Sous-le-Vent au moment où elle était le plus nécessaire. La taille et l’importance du convoi avaient rejeté tout cela au second plan.

Des hommes tels que Beer croyaient-ils vraiment qu’il allait se lancer dans une attaque insensée, contre des forces aussi redoutables ? Ils devaient maintenant savoir qu’Adam s’était échappé. Mais nul ne pouvait se douter qu’il était à bord de L’Indomptable. Ce qui lui donnait un atout.

Bolitho vit qu’Adam avait fermé les yeux et sentit la pression diminuer sur sa main.

— Si je puis faire quoi que ce soit pour vous…

Adam essaya de parler, Bolitho devina que le chirurgien avait dû lui administrer quelque médecine pour adoucir le choc et la tension de son évasion.

— Je n’ai jamais cru que vous étiez perdu. Mais je me suis fait bien du souci.

Adam sortit le gant tout froissé de son pantalon.

— Gardez-le pour moi, mon oncle. C’est tout ce qu’il me reste d’elle.

Avery était arrivé discrètement et se tenait là, immobile et silencieux. Ce gant, les rumeurs de suicide, le désespoir du jeune commandant lui en disaient plus qu’il ne fallait. Il était bouleversé par ce qu’il avait vu et entendu. Puis Adam reprit d’une voix faible :

— Un vaisseau, mon oncle. S’il vous plaît, trouvez-moi un vaisseau.

Bolitho le regarda, ces mots remuaient chez lui de vieux souvenirs. Lorsqu’il était revenu des mers du Sud, à demi mort des fièvres, et qu’il avait pendant sa convalescence supplié qu’on lui donne un bâtiment, n’importe quel bâtiment.

— Je devrais vous rapatrier, Adam. Vous n’êtes pas encore remis. Que puis-je faire pour vous…

Beauclerk prit la main d’Adam et la replaça sous le drap.

— Il n’entend rien, sir Richard. C’est mieux ainsi.

Il le regardait de ses yeux pâles.

— Il est très résistant.

Bolitho se leva, mais il n’avait pas envie de se replonger dans les affaires de l’escadre.

— Appelez-moi sans tarder si…

Beauclerk esquissa un sourire.

— Lorsque, sir Richard. Lorsque.

Apercevant Avery, Bolitho lui dit :

— C’est un miracle.

Et à Beauclerk :

— Je souhaitais vous le dire, les résultats que vous obtenez à bord sont excellents. Je veillerai à ce que cela figure dans mes rapports.

— Comme vous l’avez vu dans mon dossier, sir Richard, je quitterai le service au terme de cet embarquement. Mais je ne regrette rien. J’ai été aux premières loges pour constater que les vaisseaux du roi ont désespérément besoin de nouvelles méthodes en chirurgie, et je ferai de mon mieux pour que mon opinion survive à cette fournaise !

Bolitho sourit.

— Je vous souhaite bonne chance. Et je vous suis reconnaissant de ce que vous avez accompli à bord de L’Indomptable.

Beauclerk ramassa sa sacoche, mais attendit quelques instants et posa la main sur le sourcil d’Adam. Il ajouta lentement :

— Sir Piers Blachford a été pour moi le meilleur des maîtres.

Bolitho effleura son œil. Ainsi, il savait tout depuis le début, mais était resté bouche cousue. Un nouvel exemple de loyauté, et soudain, il se sentit heureux que Beauclerk eût partagé son secret.

Sur le pont, le ciel et la mer ressemblaient à du bronze. La brise était à peine assez puissante pour mettre les voiles en mouvement.

Tyacke s’avança à sa rencontre et ne perdit pas de temps.

— Nous avons établi le contact par signaux avec La Fringante, sir Richard. Elle a eu une escarmouche ce matin et souffre de quelques avaries. Elle a surpris un brick ennemi qui s’était réfugié sous la côte.

Bolitho se représentait parfaitement le visage déterminé du commandant Dampier. Tyacke poursuivit :

— Je ne vous ai pas dérangé. Nous ne pouvons rien faire de mieux jusqu’à ce que nous retrouvions le brick courrier, demain matin – il hésita : Je suis content pour le commandant Bolitho, amiral. J’éprouve énormément de respect pour lui.

— Quel genre d’avaries, James ?

Tyacke hésitait encore. Dans une seconde, il allait savoir pourquoi.

— Pas grand-chose. Un espar ou deux, mais ils se sont emparés du brick. Malheureusement, le commandant Dampier a été tué par une balle perdue. On le regrettera beaucoup.

Bolitho s’approcha de la lisse, perdu dans ses pensées. Dampier était homme à courir tous les dangers, à conduire en personne ses hommes à l’abordage, à arpenter le pont lorsque tout valsait autour de lui. Un commandant très apprécié, et qui n’avait jamais réussi à comprendre qu’il y avait parfois un risque de trop.

Bolitho regardait le bronze de la mer briller dans les creux avant de laisser place aux ombres.

— Je vais écrire à ses parents.

Mieux valait ne pas trop connaître ses hommes. Ne pas les connaître à ce point. Mais comment faire autrement lorsque, pour les entraîner, il fallait gagner leur confiance. Et risquer de ressentir cette souffrance, ce sentiment de trahison lorsqu’ils mouraient…

Tyacke reprit :

— A propos de votre plan, sir Richard.

— Vous y êtes toujours opposé ?

— C’est exact, amiral.

Il se tut en voyant approcher des marins qui venaient reprendre du mou dans quelques manœuvres.

— Parce qu’il pourrait échouer ? Ou parce que je me tromperais sur les intentions de l’ennemi ?

Tyacke le regardait, l’air têtu.

— A cause de vous, amiral. Si l’ennemi ne connaît pas précisément l’heure d’arrivée du convoi à Halifax, il peut tenter une attaque dans les Antilles, où ses chances de succès sont plus grandes. De toute façon, il est en mesure de diviser nos forces, mais au moins, nous aurons pris toutes les précautions possibles. Et cette ruse, pour tenter de nous attirer à l’endroit où le capitaine de vaisseau Bolitho était retenu prisonnier – je suis fermement convaincu qu’il s’agit d’un piège, destiné à leur permettre de s’emparer d’autres vaisseaux – il prit une profonde inspiration : Dans tous les cas, ce qu’ils feront est destiné à vous atteindre.

— S’il est quelqu’un que cela ne doit pas surprendre, James, c’est bien vous. Mais je n’ai guère le choix. Les Américains vont nous tailler en pièces si nous continuons d’appliquer cette stratégie de riposte systématique et peu concluante. Nous devons détruire leurs vaisseaux, rétablir la liberté des lignes de navigation pour acheminer du ravitaillement et des troupes destinés à la guerre au Canada. Ils peuvent bien continuer à se battre sur les Grands Lacs, ce n’est pas cela qui décidera du sort de la guerre.

Ils firent quelques pas. Au loin, les bâtiments semblaient se fondre dans l’océan. Bolitho poursuivit :

— Vainqueur ou appât, James ? Ce sont les vicissitudes d’un amiral – puis : Envoyez-moi Yovell. Il faut que je rédige les ordres pour l’escadre dans la matinée.

Tyacke le regarda s’engager dans la descente. Il essayait de disséquer les sentiments profonds de cet homme. Son énergie, cet optimisme contagieux, son noir désespoir. Qu’est-ce qui avait bien pu lui rendre ses forces ? L’évasion incroyable de son neveu, rendue possible par celui qui avait été autrefois son maître d’hôtel ? Le fils d’Allday. Ou bien était-ce la lettre non décachetée dans le petit coffret posé sur le bureau de l’amiral, les mots de Catherine Somervell et sa force qu’elle lui transmettait par-delà les océans ?

Apercevant Allday près des filets de branle, il lui demanda comment il se sentait. Allday lui fit un sourire fatigué dans la pénombre.

— J’me sens tout perdu, commandant. J’ai proprement chaviré sur ma quille quand que j’ai vu qui qu’était avec le commandant Adam. Comme si je tournais les pages. Que je soye son ami ou son père, j’savions pas trop. Mais y va point retourner chez ces gens-là, et ça, c’est une vraie bénédiction.

— Vous a-t-il raconté comment cela s’était passé ? lui demanda Tyacke.

Allday se raidit, méfiant.

Mais pourquoi pas, après tout ? Le commandant Tyacke n’était pas son ennemi. Et en outre, il avait besoin de parler, ne serait-ce que pour sortir de lui-même, pour essayer de tirer tout au clair.

— Il avait pas réussi à trouver de travail, enfin, pas le genre qu’y cherchait quand il a quitté la marine, commandant. Il voulait se faire pêcheur, ou travailler à terre. Mais personne avait besoin de lui – il éclata d’un rire amer : Même sa femme, qu’elle l’a quitté et elle est allée coucher dans le lit d’un autre. Alors, quand il a entendu parler du commandant Adam, il s’est dit qu’il savait ce qu’y devait faire. Y va finir pendu ou pis encore si qu’ils l’attrapent.

— Descendez donc, lui dit Tyacke. Je crois qu’il y a une lettre pour vous.

Allday poussa un gros soupir.

— Ça rattrapera un peu tout ça, commandant.

Tyacke le regarda se perdre dans la pénombre et se sentit soudain pris de jalousie.

Il contemplait l’obscurité, l’horizon allait disparaître. Puis il effleura la lisse de dunette tout usée. Il finit par dire tout haut : « Nous allons bientôt nous battre, ma fille. Toi et moi. Et ne me demande surtout pas pourquoi. Contente-toi de te battre et de vaincre ! »

 

Allongé dans sa couchette qui se balançait doucement, Adam Bolitho écoutait les grognements et les vibrations des cordages et du gouvernail, les embruns qui venaient périodiquement gicler contre les fenêtres en abord. La chambre était plongée dans l’obscurité, à l’exception d’un seul et unique fanal. Il devinait que son oncle était quelque part par là, occupé à rédiger ses ordres pour ses commandants avant de les confier au brick courrier.

Il faisait lourd entre les ponts, l’air était étouffant. On avait fermé tous les panneaux et sabords, comme pour se protéger d’un observateur ennemi invisible. Il transpirait abondamment, sa hanche le faisait souffrir, comme si sa blessure s’était rouverte.

Il avait encore du mal à admettre qu’il se trouvait à bord de L’Indomptable, qu’il ne se ferait plus réveiller par cet unijambiste natif de Bristol, ou par cet officier revêche.

Ils étaient sûrement lancés à sa poursuite. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Il priait le Ciel que ceux qui l’avaient aidé à s’évader s’en sortent sains et saufs.

Il écoutait les bruits de pas sur le pont et s’imaginait l’équipe de quart du soir, l’officier avec ses aspirants et ses aides pilotes, les timoniers, les yeux fixés sur la rose du compas faiblement éclairée et les jambes enlacées autour de la barre du grand safran. Des bruits, des sensations qui lui étaient si familiers qu’il n’en ressentait que plus profondément un sentiment de manque, l’impression d’être un étranger. Il entendit ensuite des bruits de bottes derrière la portière, la relève du factionnaire. Tout cela, c’était son univers, et pourtant, il le rejetait depuis la perte de l’Anémone.

Une porte s’ouvrit, il crut entendre la voix aiguë d’Ozzard. Un nouveau fanal ajouta un peu plus de lumière dans la chambre de nuit et il aperçut une petite silhouette, les cheveux en bataille, nu-pieds, qui avançait précautionneusement sur le pont en pente, serrant dans ses mains un plateau comme s’il s’agissait d’un objet précieux.

Adam se souleva sur le coude et ouvrit le volet de son fanal.

— Je te connais, mon garçon, tu t’appelles John Whitmarsh. On m’a raconté ce qui t’est arrivé.

Le jeune garçon semblait presque effrayé, bouleversé peut-être de voir son commandant étendu là, tel un vulgaire marin blessé.

— Oui commandant, c’est bien moi. Mr Ozzard y m’a dit de venir vous voir. J’vous apporte un peu d’vin. Y dit qu’ça appartenait à une dame, mais j’comprends pas c’qu’y veut dire.

Adam se pencha pour le prendre par le bras. Il n’était pas bien épais. Encore un « désigné volontaire d’office » par un parent qui ne voulait plus se charger de son entretien.

— Tu as survécu alors que tant d’autres sont tombés, John – il essaya de sourire : Ou se sont rendus !

— J’ai essayé, commandant – mais il n’en dit pas plus : Vous croyez que ça va aller, commandant ?

Adam hocha la tête.

— Dès que j’aurai un bâtiment. A ce moment-là, je serai suffisamment en forme.

Il s’aperçut que le petit garçon le regardait, ses yeux lui mangeaient la figure. Cela lui fit un choc. Il n’avait plus rien. Même son meilleur ami avait péri. Il lui demanda :

— Accepterais-tu de devenir mon domestique, John, lorsque j’aurai un autre bâtiment ? Tu ferais cela pour moi ?

Le mousse acquiesça, avant d’éclater en sanglots.

— J’en serais très fier, commandant !

— Sais-tu lire ?

— Non, commandant. Mais je pourrais apprendre !

— Je t’enseignerai la lecture. Qui sait, tu porteras peut-être un jour l’uniforme du roi. Et ce jour-là, c’est moi qui serai fier de toi, hein ?

— J’savions pas quoi dire, commandant.

Adam but une gorgée de vin. Le vin de Lady Catherine. Ozzard comprendrait. Ce pauvre garçonnet de douze ans s’imaginait sans doute qu’il lui lançait une ligne de vie. Il n’aurait pu croire que c’était exactement le contraire.

Toute cette excitation, ces émotions, et maintenant le vin, le faisaient retomber dans la somnolence. Il lui dit :

— Les jours où nous nous sentirons tristes, John, nous nous réconforterons en songeant à notre vieux vaisseau et à nos amis disparus – ses yeux se firent plus durs à la lueur des fanaux qui vacillaient : Et à nos ennemis aussi, si tu veux bien.

Le jeune garçon resta à le regarder jusqu’à ce qu’il s’endorme complètement, avant de s’éclipser discrètement. Il n’avait plus peur, il n’avait plus besoin de rien d’autre. Il était quelqu’un.

 

Au nom de la liberté
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